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çais : il dégage du caractère les données principales, s’ingénie à discerner dans une figure des lignes nettes, à en offrir un tracé continu. Que ce soit Balzac ou tel autre, le désir, le besoin de stylisation l’emporte… Mais, je crois que ce serait se tromper beaucoup — et je crains que nombre d’étrangers ne commettent cette erreur — de discréditer et mépriser la psychologie de la littérature française, précisément à cause de la netteté des contours qu’elle présente, de l’absence de vague, du défaut d’ombre…

Rappelons ici que Nietzsche, avec une perspicacité singulière, reconnaissait et proclamait au contraire l’extraordinaire supériorité des psychologues français, au point de les considérer, et plus encore les moralistes que les romanciers, comme les grands maîtres de toute l’Europe. Il est vrai que nous avons eu au dix-huitième et au dix-neuvième siècle des analystes incomparables (je songe surtout à nos moralistes). Je ne suis pas parfaitement sûr que nos romanciers d’aujourd’hui les vaillent ; car nous avons une fâcheuse tendance en France à nous en tenir à la formule, — qui vite devient procédé, — à nous reposer sur elle, sans plus chercher à passer outre.

J’ai déjà noté par ailleurs que La Rochefoucauld, tout en rendant un service extraordinaire à la psychologie, l’avait peut-être, en raison même de la perfection de ses maximes, quelque peu arrêtée. Je m’excuse de me citer moi-