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personnelle, cet aspect nouveau de la nature il nous propose nous paraît paradoxal d’abord, insincère et presque monstrueux. Puis, bientôt, nous nous accoutumons à regarder la nature comme en faveur de cette nouvelle œuvre d’art, et nous y reconnaissons ce que le peintre nous montrait. C’est ainsi que, pour l’œil nouvellement et différemment averti, la nature semble « imiter » l’œuvre d’art.

Ce que je dis ici pour la peinture est également vrai pour le roman et pour les paysages intérieurs de la psychologie. Nous vivons sur des données admises, et prenons vite cette habitude de voir le monde, non point tant comme il est vraiment, mais comme on nous a dit, comme on nous a persuadés qu’il était. Combien de maladies semblaient n’exister point tant qu’on ne les avait pas dénoncées ! Combien d’états bizarres, pathologiques, anormaux ne reconnaîtrons-nous pas, autour de nous ou en nous-mêmes, avertis par la lecture des œuvres de Dostoïevsky ? Oui, vraiment, je crois que Dostoïevsky nous ouvre les yeux sur certains phénomènes, qui peut-être ne sont même pas rares — mais que simplement nous n’avions pas su remarquer.

En face de la complexité que presque chaque être humain présente, le regard tend spontanément et presque inconsciemment à la simplification.

Tel est l’effort instinctif du romancier fran-