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sentiment de son inconstance. La crainte de ne pouvoir maintenir longtemps en eux la même humeur et la même résolution les pousse souvent à une brusquerie d’action déconcertante.

Sachant depuis longtemps, dit la Lisa des Possédés, que mes résolutions ne durent pas plus d’une minute, je me suis décidée tout de suite[1].

Je me propose d’étudier aujourd’hui quelques conséquences de cette étrange dualité ; mais tout d’abord je voudrais me demander avec vous, si cette dualité existe en fait ou si seulement Dostoïevsky l’imagine ? La réalité lui fournit-elle des exemples de cela ? Observa-t-il en cela la nature, ou céda-t-il complaisamment à son imagination ?

« La nature imite ce que l’œuvre d’art lui propose », dit Oscar Wilde dans Intentions. Cet apparent paradoxe, il s’amuse à l’illustrer par quelques insinuations spécieuses :

« Vous avez remarqué, dit-il en substance, combien, depuis quelque temps, la nature s’est mise à ressembler aux paysages de Corot. »

Que veut-il dire, sinon ceci : que nous voyons d’ordinaire la nature d’une manière devenue conventionnelle, que nous ne reconnaissons dans la nature que ce que l’œuvre d’art nous a appris à y remarquer. Dès qu’un peintre tente, dans son œuvre, de traduire et d’exprimer une vision

  1. Possédés, II, p. 218.