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IV

Nous avons constaté dans notre dernière causerie l’inquiétante dualité qui animait et écartelait la plupart des personnages de Dostoïevsky, cette dualité qui fait dire à l’ami de Raskolnikoff, parlant du héros de Crime et châtiment :

On dirait vraiment qu’il y a en lui deux caractères opposés qui se manifestent tour à tour.

et si ces caractères ne se manifestaient jamais que tour à tour, tout irait encore bien, mais nous avons vu qu’il leur arrivait souvent de se manifester simultanément. Nous avons vu comment chacune de ces velléités contradictoires s’épuise et pour ainsi dire se déprécie, se décontenance par son expression même et par sa manifestation, pour laisser place précisément à la velléité contraire ; et jamais le héros n’est plus près de l’amour que lorsqu’il vient d’exagérer sa haine, et jamais plus près de la haine que lorsqu’il vient d’exagérer son amour.

Nous découvrons en chacun d’eux, et surtout dans les caractères de femmes, un inquiet pres-