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certains à doubler leur vie d’une vie imaginaire, à cesser d’être qui l’on est, pour devenir qui l’on croit être, qui l’on veut être.

Chaque héros, chaque homme, qui ne vit pas à l’abandon, mais s’efforce vers un idéal, qui tend à se conformer à cet idéal, nous offre un exemple de ce dédoublement, de ce bovarysme.

Ceux que nous voyons dans les romans de Dostoïevsky, les exemples de dualité qu’il nous propose, restent très différents ; n’ont rien à voir non plus, ou que très peu, avec ces cas pathologiques, assez fréquemment observés, où une personnalité seconde, entée sur la personnalité première, alterne avec elle : deux groupements de sensations, d’associations de souvenirs se forment, l’un à l’insu de l’autre ; bientôt, nous avons deux personnalités distinctes, deux hôtesses du même corps. Elles se cèdent la place et se succèdent l’une à l’autre, tour à tour, en s’ignorant (ce dont Stevenson nous donne une extraordinaire illustration dans son admirable conte fantastique : le Double Cas du docteur Jekyll.)

Mais, dans Dostoïevsky, le déconcertant, c’est la simultanéité de tout cela et la conscience que garde chaque personnage de ses inconséquences, de sa dualité.

Il advient que tel de ses héros, en proie à l’émotion la plus vive, doute s’il la doit à la haine ou à l’amour. Les deux sen-