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çais, avons le plus besoin, c’est de logique.

Aussi bien dirai-je que, non seulement les personnages de sa Comédie humaine, mais ceux aussi de la comédie réelle que nous vivons, se dessinent — que nous tous Français, tant que nous sommes, nous nous dessinons nous-mêmes — selon un idéal balzacien. Les inconséquences de notre nature, si tant est qu’il y en ait, nous apparaissent gênantes, ridicules. Nous les renions. Nous nous efforçons de n’en pas tenir compte, de les réduire. Chacun de nous a conscience de son unité, de sa continuité, et tout ce qui reste en nous de refoulé, d’inconscient, semblable au sentiment que nous voyons reparaître soudain chez Claès, si nous ne pouvons pas précisément le supprimer, du moins cessons-nous d’y attacher de l’importance. Nous agissons sans cesse comme nous estimons que l’être que nous sommes, que nous croyons être, doit agir. La plupart de nos actions nous sont dictées non point par le plaisir que nous prenons à les faire, mais par un besoin d’imitation de nous-mêmes, et de projeter dans l’avenir notre passé. Nous sacrifions la vérité (c’est-à-dire la sincérité) à la continuité, à la pureté de la ligne.

En regard de cela, que nous présente Dostoïevsky ? Des personnages qui, sans aucun souci de demeurer conséquents avec eux-mêmes, cèdent complaisamment à toutes les contradictions, toutes les négations dont leur