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les voit également de tous côtés ; ils n’ont point d’ombre. Or, ce qui importe surtout, dans un livre de Dostoïevsky, tout comme dans un tableau de Rembrandt, c’est l’ombre. Dostoïevsky groupe ses personnages et ses événements, et projette sur eux une intense lumière, de manière qu’elle ne les frappe que d’un seul côté. Chacun de ses personnages baigne dans l’ombre. Nous remarquons aussi chez Dostoïevsky un singulier besoin de grouper, de concentrer, de centraliser, de créer entre tous les éléments du roman le plus de relations et de réciprocité possibles. Les événements, chez lui, au lieu de suivre un cours lent et égal, comme dans Stendhal ou Tolstoï, il y a toujours un moment où ils se mêlent et se nouent dans une sorte de vortex ; ce sont des tourbillons où les éléments du récit — moraux, psychologiques et extérieurs — se perdent et se retrouvent. Nous ne voyons chez lui aucune simplification, aucun épurement de la ligne. Il se plaît dans la complexité ; il la protège. Jamais les sentiments, les pensées, les passions ne se présentent à l’état pur. Il ne fait pas le vide autour. Et j’en arrive ici à une remarque sur le dessin de Dostoïevsky, sur sa façon de dessiner les caractères de ses personnages ; mais permettez-moi tout d’abord de vous lire, à ce sujet, ces remarquables observations de Jacques Rivière :

L’idée d’un personnage étant donnée dans son esprit, il y a, pour le romancier, deux manières