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D’autre part, et c’est là ce qui préserve ses œuvres de toutes les déformations tendancieuses, ces vérités, ces idées de Dostoïevsky restent toujours soumises au fait, profondément engagées dans le réel. Il garde, vis-à-vis de la réalité humaine, une attitude humble, soumise ; il ne force jamais ; il n’incline jamais à lui l’événement ; il semble qu’il applique à sa pensée même le précepte de l’Évangile : « Qui la veut sauver la perdra ; qui la renonce la rend vraiment vivante. »

Avant de chercher à poursuivre quelques-unes des idées de Dostoïevsky à travers ses livres, je voudrais vous parler de sa méthode de travail. Strakhov nous raconte que Dostoïevsky travaillait presque exclusivement la nuit : « Vers minuit, dit-il, lorsque tout entrait dans le repos, Theodor Michaïlovitch Dostoïevsky restait seul avec son samovar ; et, tout en buvant à petits traits un thé froid et pas trop fort, il poussait son travail jusqu’à cinq et six heures du matin. Il se levait vers deux ou trois heures après midi, passait la fin du jour à recevoir des hôtes, à se promener ou à rendre visite à des amis. » Dostoïevsky ne sut pas toujours se contenter de ce thé « pas trop fort » ; il se laissa aller, dans les derrières années de sa vie, à boire beaucoup d’alcool, nous dit-on. Certain jour, m’a-t-on raconté, Dostoïevsky sortait de