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de la résultante : il ne connaît pas ces déductions arbitraires du cas particulier. Quel résultat obtient-on lorsqu’on s’y prend autrement ? Par exemple, lorsque, à la façon des romanciers parisiens, on fait de la grande psychologie de colportage ? On épie en quelque sorte la réalité, on rapporte tous les soirs une poignée de curiosités. Mais regardez donc ce qui en résulte…, etc.[1].

Dostoïevsky n’observe jamais pour observer. L’œuvre chez lui ne naît point de l’observation du réel ; ou du moins elle ne naît pas rien que de cela. Elle ne naît point non plus d’une idée préconçue, et c’est pourquoi elle n’est en rien théorique, mais reste immergée dans le réel ; elle naît d’une rencontre de l’idée et du fait, de la confusion (du blending, diraient les Anglais) de l’un et de l’autre, si parfaite que jamais l’on ne peut dire qu’aucun des deux éléments l’emporte, — de sorte que les scènes les plus réalistes de ses romans sont aussi les plus chargées de signification psychologique et morale ; plus exactement, chaque œuvre de Dostoïevsky est le produit d’une fécondation du fait par l’idée. « L’idée de ce roman existe en moi depuis trois ans », écrit-il en 1870 (il s’agit ici des Frères Karamazov qu’il n’écrivit que neuf ans plus tard), et dans une autre lettre :

La question principale qui sera poursuivie dans toutes les parties de ce livre est celle même dont

  1. Mercure, août 1898, p. 371.