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cette vieille, il imagine son retour chez elle auprès des siens, les propos de ceux-ci à la vieille. Il raconte sa mort. « J’ai plaisir à imaginer la fin de l’histoire. D’ailleurs, je suis un romancier. J’aime à raconter des histoires. »

Du reste, Dostoïevsky n’invente jamais au hasard. Dans un des articles de ce même Journal, à propos du procès de la veuve Kornilov, il reconstitue et recompose le roman à sa façon, mais il peut écrire ensuite, après que l’enquête judiciaire a jeté pleine lumière sur le crime : « J’ai presque tout deviné », et il ajoute : « Une circonstance me permit d’aller voir la Kornilova. Je fus surpris de voir comme mes suppositions s’étaient trouvées presque conformes avec la réalité. Je m’étais certes trompé sur quelques détails : ainsi Kornilov, bien que paysan, s’habillait à l’européenne, etc. », et Dostoïevsky conclut : « Somme toute, mes erreurs ont été de peu d’importance. Le fond de mes suppositions demeure vrai[1]. »

Avec de tels dons d’observateur, d’affabulateur et de reconstructeur du réel, si l’on y joint les qualités de sensibilité, l’on peut faire un Gogol, un Dickens (et peut-être vous souvenez-vous du début du Magasin d’antiquités, où Dickens, lui aussi s’occupe à suivre les passants, les observant, et, après qu’il les a quittés,

  1. Journal d’un écrivain, pp. 294 et suiv., 450-451. (Une affaire simple, mais compliquée.)