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personnages ; elles restent relatives ; en relation et fonction directe avec le fait ou tel geste qu’elles nécessitent ou qui les nécessite. Dès que Dostoïevsky théorise, il nous déçoit. Ainsi, même dans son article sur le mensonge, lui qui est d’une si prodigieuse habileté pour mettre en scène des types de menteurs (et combien différents de celui de Corneille), et qui sait nous faire comprendre à travers eux ce qui peut pousser le menteur à mentir, dès qu’il veut nous expliquer tout cela, dès qu’il entreprend la théorie de ses exemples, il devient plat, et fort peu intéressant.

À quel point Dostoïevsky est romancier, ce Journal d’un écrivain nous le montrera ; car s’il reste assez médiocre dans les articles théoriques et critiques, il devient excellent aussitôt que quelque personnage entre en scène. C’est en effet dans ce journal que nous trouverons le beau récit du moujik Krotckaia, une des œuvres les plus puissantes de Dostoïevsky, sorte de roman qui n’est à proprement parler qu’un long monologue, comme celui de l’Esprit souterrain qu’il écrivit à peu près à la même époque.

Mais il y a mieux que cela — je veux dire plus révélateur : dans le Journal d’un écrivain, Dostoïevsky nous permet, à deux reprises, d’assister au travail d’affabulation, presque involontaire, presque inconscient ce son esprit.

Après nous avoir parlé du plaisir qu’il avait à regarder les promeneurs dans la rue, et parfois