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plus maladroit dès qu’il s’exprime en son nom propre. On pourrait lui appliquer à lui-même cette phrase qu’il prête à Versiloff dans son Adolescent :

Développer[1] ? non j’aime mieux sans développement. Et n’est-ce pas curieux : presque toujours quand il m’est arrivé de développer une idée en quoi je crois, l’exposé n’est pas terminé que ma foi a déjà faibli[2].

L’on peut même dire qu’il est rare que Dostoïevsky ne se retourne pas contre sa propre pensée, aussitôt après l’avoir exprimée. Il semble qu’elle exhale aussitôt pour lui cette puanteur des choses mortes, semblable à celle qui se dégageait du cadavre du starets Zossima, alors précisément qu’on attendait de lui des miracles, — et qui rendait si pénible pour son disciple, Aliocha Karamazov, la veillée mortuaire.

Évidemment, pour un « penseur », voici qui serait assez fâcheux. Ses idées ne sont presque jamais absolues ; elles restent presque toujours relatives aux personnages qui les expriment, et je dirai plus : non seulement relatives à ces personnages, mais à un moment précis de la vie de ces personnages ; elles sont pour ainsi dire obtenues par un état particulier et momentané de ces

  1. Dans la traduction allemande, begrunden.
  2. Un adolescent, p. 240.