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l’Éternel Mari[1] ni de l’Esprit souterrain, écrivait : « Je n’ai pas parlé d’un roman intitulé Croissance, fort inférieur à ses aînés », et plus désinvoltement encore : « Je ne m’arrêterai pas davantage aux Frères Karamazov ; de l’aveu commun, très peu de Russes ont eu le courage de lire jusqu’au bout cette interminable histoire. » Enfin il concluait : « Ma tâche devait se borner à appeler l’attention sur l’écrivain, célèbre là-bas, presque inconnu ici, à signaler dans son œuvre les trois parties (?) qui montrent le mieux les divers aspects de son talent : ce sont les Pauvres Gens, les Souvenirs de la maison des morts, Crime et châtiment. »

De sorte qu’on ne sait trop ce qui doit l’emporter ici, de la reconnaissance, car enfin il fut le premier à nous avertir, — ou de l’irritation, car il nous présente, comme à contre-cœur semble-t-il, à travers son évident bon vouloir, une image déplorablement réduite, incomplète et par cela même faussée de cet extraordinaire génie ; et l’on doute si l’auteur du Roman russe a plus servi Dostoïevsky en attirant vers lui l’attention, qu’il ne l’a desservi en limitant cette attention à trois de ses livres, admirables certes, déjà, mais non des plus significatifs et au delà desquels seulement notre admiration pleinement s’étendra. Peut-être au demeurant Dostoïevsky,

  1. Que le fin lettré Marcel Schwob tenait pour le chef-d’œuvre de Dostoïevsky.