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sion, il n’est pas dans tous les livres de Dostoïevsky de créature plus veule, plus à la merci de chacun). La volonté de ses héros, tout ce qu’ils ont en eux d’intelligence et de volonté, semble les précipiter vers l’enfer ; et si je cherche quel rôle joue l’intelligence dans les romans de Dostoïevsky, je m’aperçois que c’est toujours un rôle démoniaque.

Ses personnages les plus dangereux sont aussi bien les plus intellectuels.

Et je ne veux point dire seulement que la volonté et l’intelligence des personnages de Dostoïevsky ne s’exercent que pour le mal ; mais que, lors même qu’elles s’efforcent vers le bien, la vertu qu’elles atteignent est une vertu orgueilleuse et qui mène à la perdition. Les héros de Dostoïevsky n’entrent dans le royaume de Dieu qu’en résignant leur intelligence, qu’en abdiquant leur volonté personnelle, que par le renoncement à soi.

Certes, on peut dire que, dans une certaine mesure, Balzac est, lui aussi, un auteur chrétien. Mais c’est en confrontant les deux éthiques, celle du romancier russe et celle du romancier français, que nous pouvons comprendre à quel point le catholicisme du second s’écarte de la doctrine purement évangéliste de l’autre ; à quel point l’esprit catholique peut différer de l’esprit seulement chrétien. Pour ne choquer personne, disons, si vous le préférez, que la Comédie humaine de Balzac est née du