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personnages de Balzac sont d’une diversité plus grande que ceux du romancier russe ; sa Comédie humaine, plus variée. Dostoïevsky atteint sans doute à des régions bien plus profondes, et touche à des points beaucoup plus importants qu’aucun autre romancier ; mais l’on peut dire que tous ses personnages sont taillés dans la même étoffe. L’orgueil et l’humilité restent les secrets ressorts de leurs actes, encore qu’en raison des dosages divers les réactions en soient diaprées.

Dans Balzac (comme du reste dans toute la société occidentale, ou française particulièrement, dont ses romans nous offrent l’image), deux facteurs entrent en jeu, qui n’ont à peu près aucun rôle dans l’œuvre de Dostoïevsky ; le premier, c’est l’intelligence ; le second, c’est la volonté.

Je ne dis pas que, dans Balzac, la volonté mène toujours l’homme vers le bien et qu’il n’y ait que des vertueux parmi ses volontaires ; mais du moins voyons-nous nombre de ses héros atteindre à la vertu par volonté et faire une carrière glorieuse à force de persévérance, d’intelligence et de résolution. Songez à ses David Séchard, Bianchon, Joseph Brideau, Daniel d’Arthlez…, et j’en pourrais citer vingt autres.

Dans toute l’œuvre de Dostoïevsky, nous n’avons pas un seul grand homme. — Pourtant l’admirable père Zossima des Karamazov,