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Et elle achève :

Au moins l’amour-propre est sauf[1].

Ses personnages de femmes, plus encore que les masculins, sont constamment décidés, mus, par la raison d’orgueil (voir la sœur de Raskolnikoff, Nastasia Philopovna et Aglaé Épantchine de l’Idiot, Elisabeth Nikholaïevna des Possédés et Katherina Ivanovna des Karamazov).

Mais, par un renversement, que j’oserais qualifier d’évangélique, les plus abjects sont plus près du royaume de Dieu que les plus nobles, tant l’œuvre de Dostoïevsky reste dominée par ces profondes vérités : « Il sera accordé aux humbles ce qui sera refuse aux puissants. » — « Je suis venu pour sauver, ce qui était perdu », etc.

D’une part, nous voyons le renoncement à soi, l’abandon de soi ; d’autre part, l’affirmation de la personnalité, la « volonté de puissance », dans les romans de Dostoïevsky, mène toujours à la banqueroute.

M. Souday m’a naguère reproché de sacrifier Balzac à Dostoïevsky, de l’immoler même, je crois bien. Est-il nécessaire de protester ? Mon admiration pour Dostoïevsky est certes des plus vives mais je ne pense pourtant point qu’elle m’aveugle, et je suis prêt à reconnaître que les

  1. Possédés, II, p. 218.