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Et c’est ainsi que souvent, chez Dostoïevsky, un sentiment fait place au brusque sentiment contraire.

De cela, nous pourrions trouver maint exemple ; entre autres celui du malheureux enfant qui, dans les Frères Karamazov, mord haineusement le doigt d’Aliocha, quand celui-ci lui tend la main, alors même que, précisément, sans s’en rendre compte, l’enfant commence à l’aimer sauvagement.

Et d’où vient chez cet enfant une telle déviation de l’amour ? Il a vu Dmitri Karamazov, le frère d’Aliocha, alors qu’il sortait ivre d’un traktir, rosser son père et le traîner insolemment par la barbe : « Mon papa, mon petit papa. Comme il t’a humilié ! » s’écriera-t-il plus tard.

Donc, en regard de l’humilité et sur le même plan moral, si je puis dire, mais à l’autre extrémité de ce plan : l’orgueil, qu’exagère, exaspère et déforme, monstrueusement parfois, l’humiliation.

Certainement, les vérités psychologiques paraissent toujours à Dostoïevsky ce qu’elles sont en réalité : des vérités particulières. En romancier (car Dostoïevsky n’est nullement un théoricien, c’est un prospecteur), il se garde de l’induction et sait l’imprudence qu’il y aurait (pour lui du moins) à tenter de formuler des lois générales[1]. Ces lois, c’est à nous, si nous le

  1. « Le génie russe, dit M. de Schlœzer dans la Nouvelle