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dans une disposition d’esprit telle que je portai envie à l’homme qui avait été jeté par la fenêtre, et à un tel point que j’entrai dans l’auberge et pénétrai dans la salle de billard : peut-être, me dis-je, me fera-t-on descendre par la fenêtre.

Je n’étais pas ivre, mais, que voulez-vous, à quelle crise de nerfs peut vous amener l’ennui ! Mais tout se réduisit à rien. En réalité, je n’étais pas capable de sauter par la fenêtre, et je sortis sans m’être battu.

Dès les premiers pas, ce fut un officier qui me remit à ma place. Je me tenais près du billard, et, involontairement, je lui barrai le passage quand il voulut passer. Il me prit par les épaules et sans rien dire, sans avertissement ni explication, il me fit changer de place, passa et fit semblant de ne pas s’en apercevoir. J’aurais pardonné les coups, mais je ne pouvais pardonner qu’il m’eût fait changer de place sans faire attention à moi.

Ah ! diable, que n’aurais-je pas donné pour une véritable dispute ! plus régulière, plus convenable, plus littéraire, pour ainsi dire ! Il avait agi avec moi comme avec une mouche. Cet officier était d’une grande taille ; moi, j’étais petit et chétif. D’ailleurs, j’étais le maître de la querelle ; je n’aurais eu qu’à protester et certainement, on m’eût fait passer par la fenêtre. Mais je réfléchis et préférai m’effacer avec rage.

Mais si nous continuons ce récit, nous verrons bientôt l’excès de haine ne nous apparaître plus que comme un renversement de l’amour.

…Après cela, je rencontrai souvent cet officier dans la rue ; je le reconnaissais très bien. Je ne