Page:Gide - Dostoïevsky, 1923.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pan Trophimovitch, peut-être depuis longtemps aurait-il échappé à ce triste démon de l’ironie qui a ruiné toute son existence.

Il arrive que certains des personnages de Dostoïevsky, natures profondément viciées par l’humiliation, trouvent une sorte de plaisir, de satisfaction, dans la déchéance qu’elle entraîne, si abominable qu’elle soit.

De ma mésaventure, — dit le héros de l’Adolescent, alors qu’il vient précisément d’éprouver une cruelle mortification d’amour-propre, — de ma mésaventure, éprouvais-je une rancœur bien authentique ? Je n’en jurerais pas. Dès ma prime enfance, lorsqu’on m’humiliait à vif, il me naissait aussitôt un désir incoercible de me vautrer orgueilleusement dans ma déchéance et d’aller au-devant des désirs de l’offenseur : « Ah ! vous m’avez humilié ? Eh bien ! je vais m’humilier plus encore, regardez ; admirez[1] ! »

Car, si l’humilité est un renoncement à l’orgueil, l’humiliation au contraire amène un renforcement de l’orgueil.

Écoutons encore le récit du triste héros du Sous-sol[2] :

Une fois, la nuit, en passant auprès d’une petite auberge, je vis par la fenêtre des joueurs de billard qui se battaient à coup de queue de billard et firent descendre l’un d’eux par la fenêtre. À un autre moment, cela m’eût écœuré ; mais j’étais

  1. Adolescent, p. 371.
  2. Sous-sol, pp. 71, 72 et 73 (l’Esprit souterrain).