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Dostoïevsky n’y tient plus et furieusement il ajoute :

— « Mais je vous méprise encore davantage. C’est tout ce que j’avais à vous dire… » et il sort en claquant la porte. Tourguenieff était décidément trop européanisé pour le bien comprendre.

Et nous voyons ici l’humilité faire place brusquement au sentiment opposé. L’homme que l’humilité inclinait, au contraire, l’humiliation le fait se regimber. L’humilité ouvre les portes du paradis ; l’humiliation, celles de l’enfer. L’humilité comporte une sorte de soumission volontaire ; elle est librement acceptée ; elle éprouve la vérité de la parole de l’Évangile : « Celui qui s’abaisse sera élevé. » L’humiliation, tout au contraire, avilit l’âme, la courbe, la déforme, la sèche, l’irrite, la flétrit ; elle cause une sorte de lésion morale très difficilement guérissable.

Il n’est, je crois, pas une des déformations et déviations de caractère — qui nous font paraître nombre de personnages de Dostoïevsky si inquiétants, si maladivement bizarres — qui n’ait son origine dans quelque humiliation première.

Humiliés et offensés, tel est le titre d’un de ses premiers livres, et son œuvre, toujours et tout entière, est tourmentée par cette idée que l’humiliation damne, tandis que l’humilité sanctifie. Le paradis, tel que le rêve et que