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quelque temps, et sans doute se dit-il à lui-même ce que Sonia disait à Raskolnikoff. Le besoin le prit de se confesser, mais point seulement à un prêtre. Il chercha celui devant qui cette confession devait lui être le plus pénible ; c’était incontestablement Tourguenieff. Dostoïevsky n’avait pas revu Tourguenieff depuis longtemps, et était avec lui en fort mauvais termes. M. Tourguenieff était un homme rangé, riche, célèbre, universellement honoré. Dostoïevsky s’arma de tout son courage, peut-être céda-t-il à une sorte de vertige, à un mystérieux et terrible attrait. Figurons-nous le confortable cabinet de travail de Tourguenieff. Celui-ci à sa table de travail. — On sonne. — Un laquais annonce Theodor Dostoïevsky. — Que veut-il ? — On le fait entrer, et tout aussitôt, le voici qui commence à raconter son histoire. — Tourguenieff l’écoute avec stupeur. Qu’a-t-il à faire avec tout cela ? Sûrement, l’autre est fou ! Après qu’il a raconté, grand silence. Dostoïevsky attend de la part de Tourguenieff un mot, un signe… Sans doute croit-il que, comme dans ses romans à lui, Tourguenieff va le prendre dans ses bras, l’embrasser en pleurant, se réconcilier avec lui… mais comme rien ne vient :

— Monsieur Tourguenieff, il faut que je vous dise : « Je me méprise profondément… »

Il attend encore. Toujours le silence. Alors