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de sincérité, mais presque sans vergogne.

Et je sais plus curieux encore ; c’est une anecdote de la vie de Dostoïevsky lui-même. Je la tiens d’un Russe de son entourage immédiat. J’ai eu l’imprudence de la raconter à plusieurs personnes, et déjà l’on en a tiré parti ; mais, telle que je l’ai trouvée rapportée, elle devenait méconnaissable, et c’est aussi pourquoi je tiens à vous la répéter ici :

Il y a, dans la vie de Dostoïevsky, certains faits extrêmement troubles. Un, en particulier, auquel il est déjà fait allusion dans Crime et châtiment (t. II, p. 23) et qui semble avoir servi de thème à certain chapitre des Possédés, qui ne figure pas dans le livre, qui est resté inédit, même en russe, qui n’a été, je crois, publié jusqu’à présent qu’en Allemagne, dans une édition hors commerce[1]. Il y est question du viol d’une petite fille. L’enfant souillée se pend dans une pièce, tandis que dans la pièce voisine, le coupable, Stavroguine, qui sait qu’elle se pend, attend qu’elle ait fini de vivre. Quelle est dans cette sinistre histoire la part de la réalité ? C’est ce qu’il ne m’importe pas ici de savoir. Toujours est-il que Dostoïevsky, après une aventure de ce genre, éprouva ce que l’on est bien forcé d’appeler des remords. Ses remords le tourmentèrent

  1. Une traduction de ce chapitre a paru depuis dans la Nouvelle Revue française (juin et juillet 1922). Édité depuis : la Confession de Stavroguine (Plon-Nourrit).