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gique, n’est pas exactement le même pour le Français, l’Anglais, l’Italien, l’Espagnol… Mais, en regard du peuple russe, le point d’honneur de toutes les nations occidentales semble à peu près se confondre. En prenant connaissance de l’honneur russe, il nous paraîtra du même coup combien souvent l’honneur occidental s’oppose aux préceptes évangéliques. Et précisément ici le sentiment de l’honneur chez le Russe, pour s’écarter du sentiment de l’honneur occidental, se rapproche de l’Évangile ; ou, si vous préférez, le sentiment chrétien l’emporte chez le Russe, l’emporte souvent, sur le sentiment d’honneur, tel que nous, les Occidentaux, le comprenons.

En se plaçant devant cette alternative : ou se venger, ou, en reconnaissant ses torts, présenter des excuses, l’Occidental estimera le plus souvent que cette dernière solution manque de dignité, qu’elle est le fait d’un lâche, d’un pleutre… L’Occidental a une tendance à considérer comme un trait de caractère de ne pas pardonner, de ne pas oublier, de ne pas remettre. Et certes, il cherche à ne se mettre jamais dans son tort ; mais, s’il s’y est mis, il semble que ce qu’il puisse lui arriver de plus fâcheux, ce soit d’avoir à le reconnaître. Le Russe, tout au contraire, est toujours prêt à confesser ses torts, — et même devant ses ennemis, — toujours prêt à s’humilier, à s’accuser.