vécus correctement, ce qui est bien plus important que d’être ponctuel à un rendez-vous, » — et nous verrons du même coup, dans cette phrase révélatrice, le sentiment particulier que le Russe a de la vie intime. Elle a pour lui plus d’importance que tous les rapports sociaux.
Signalons encore avec Mme Hoffmann la propension à la souffrance et à la compassion, au Leiden et au Mitleiden, cette compassion qui s’étend au criminel. Il n’existe en russe qu’un seul mot pour désigner le malheureux et le criminel, un seul mot pour désigner le crime et le simple délit. À cela, si nous ajoutons une contrition quasi religieuse, nous comprendrons mieux l’indéracinable défiance du Russe dans toutes ses relations avec les autres, et en particulier avec les étrangers ; défiance dont souvent se plaignent les Occidentaux, mais qui vient, affirme Mme Hoffmann, du sentiment toujours en éveil de sa propre insuffisance et peccabilité, bien plus que du sentiment de la non-valeur des autres : c’est de la défiance par humilité.
Rien ne saurait éclairer mieux cette religiosité si particulière du Russe — et qui subsiste même après que toute foi est éteinte — que le récit des quatre rencontres du prince Muichkine, le héros de l’Idiot, dont je vais vous donner lecture :
À propos de la foi, commença en souriant Muichkine, la semaine dernière j’ai fait, en deux jours, quatre rencontres différentes. Un matin,