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source boire — nous croyons trop d’eaux salutaires, et tel va boire ici, tel va là.

C’est aussi qu’aucune grande source unique ne jaillit, mais que les eaux, surgies de toutes parts, sans élan, sourdent à peine, puis restent sur le sol, stagnantes — et que l’aspect du sol littéraire aujourd’hui est assez proprement celui d’un marécage.

Plus de puissant courant, plus de canal, plus de grande influence générale qui groupe et unisse les esprits en les soumettant à quelque grande croyance commune, à quelque grande idée dominatrice — plus d’école, en un mot — mais, par crainte de se ressembler, par horreur d’avoir à se soumettre, par incertitude aussi, par scepticisme, complexité, une multitude de petites croyances particulières, pour le triomphe des bizarres petits particuliers.

Si donc les grands esprits cherchent avidement les influences, c’est que, sûrs de leurs propres richesses, pleins d’un sentiment intuitif, ingénu de l’abondance imminente de leur être, ils vivent dans une attente joyeuse de leurs nouvelles éclosions. — Ceux, au contraire, qui n’ont pas en eux grande ressource, semblent garder toujours la crainte de voir se vérifier pour eux le mot tragique de l’Évangile : « Il sera donné à celui qui a ; mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a. » Ici encore la vie est sans pitié pour les faibles. — Est-ce une raison pour fuir les influences ? — Non. —