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Quelles richesses ne devait pas sentir en lui un Gœthe, pour ne s’être refusé, — ou selon le mot de Nietzsche, « n’avoir dit non » — à rien ! Il semble que la biographie de Gœthe soit l’histoire de ses influences — (nationales avec Goëtz ; moyenâgeuses avec Faust ; grecques avec les Iphigénies ; italiennes avec le Tasse, etc. ; enfin vers la fin de sa vie encore, l’influence orientale, à travers le divan de Hafiz, que venait de traduire Hammer — influence si puissante que, à plus de 70 ans, il apprend le persan et écrit lui aussi un Divan).

La même frénésie désireuse qui poussait Gœthe vers l’Italie, poussait le Dante vers la France. C’est parce qu’il ne trouvait plus en Italie d’influences suffisantes qu’il accourait jusqu’à Paris se soumettre à celle de notre Université.


Il faudrait pourtant se convaincre que la peur dont je parle est une peur toute moderne, dernier effet de l’anarchie des lettres et des arts ; avant, on ne connaissait pas cette crainte-là. Dans toute grande époque on se contentait d’être personnel, sans chercher à l’être, de sorte qu’un admirable fonds commun semble unir les artistes des grandes époques, et, par la réunion de leurs figures involontairement diverses, créer une sorte de société, admirable presque autant par elle-même, que l’est chaque figure isolée. Un Racine se préoccupait-il de