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celante ou débile, la peur de la perdre nous poursuit et risque de gâter nos plus réelles joies.

La peur de perdre sa personnalité !


Nous avons pu, dans notre bienheureux monde des lettres connaître, et rencontrer bien des peurs, la peur du neuf, la peur du vieux — ces derniers temps la peur des langues étrangères, etc., mais de toutes, la plus vilaine, la plus sotte, la plus ridicule, c’est bien la peur de perdre sa personnalité ?

« Je ne veux pas lire Gœthe, me disait un jeune littérateur, (ne craignez rien, je ne nomme que quand je loue). Je ne veux pas lire Gœthe parce que cela pourrait m’impressionner. »

Il faut, n’est-ce pas, être arrivé à un point de perfection rare, pour croire que l’on ne peut changer qu’en mal.


La personnalité d’un écrivain, cette personnalité délicate, choyée, celle qu’on a peur de perdre, non tant parce qu’on la sait précieuse, que parce qu’on la croit sans cesse sur le point d’être perdue — consiste trop souvent à n’avoir jamais fait telle ou telle chose. — C’est ce qu’on pourrait appeler une personnalité privative. La perdre, c’est avoir envie de faire ce qu’on s’était promis de ne pas faire. — Il a paru, il y a