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— Continuez.

— À l’appui de ce qu’il avance, Ward entreprend une sorte d’histoire de l’élément mâle dans les espèces animales à travers les divers degrés de leur évolution. Si vous le permettez, nous allons le suivre un instant. Il peint cet élément, douteux d’abord, à peine différencié dans l’hermaphrodisme des cœlentérés ; puis distinct, mais minuscule parasite d’une femelle cinquante ou cent fois plus grosse, cramponné à elle, et qu’elle porte, simple instrument de fécondation, à la manière dont certaines femmes sauvages portent, pendu à leur cou, un phallus.

N’ayant jusqu’alors jamais entendu parler de ces monstruosités, je m’étonnai :

— C’est sérieux, cette histoire naturelle ? Votre Ward vient de loin ; peut-on le croire sur parole ?

Il se leva et se dirigeant vers sa bibliothèque :

— Ces espèces animales et leurs mœurs sont connues depuis longtemps. L’auteur de Peter Schlemihl, le délicat Chamisso, fut un des premiers à s’occuper d’elles. Voici deux volumes de Darwin qui datent de 1854, entièrement consacrés à l’étude des cirripèdes, ordre d’animaux que longtemps on n’a pas séparé des mollusques ; la plupart des cirripèdes sont hermaphrodites, mais pourtant, d’après Darwin, il existe dans quelques genres de ceux-ci des mâles nains, extraordinairement simplifiés jusqu’à n’être plus que juste ce qu’il faut pour leur fonction ; porte-semence sans plus de bouche ni d’appareil digestif, on en trouve deux, trois ou quatre sur chaque femelle. Darwin les appelle : mâles complémentaires. Ils sont également fréquents chez certains genres de crustacés para-