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Que, dans le cours de l’évolution, la volupté précède la tendance ou la suive, c’est ce qui ne m’importe pas à présent. J’admets volontiers que le plaisir accompagne chaque acte où s’affirme l’activité vitale, de sorte que, dans l’acte sexuel, par où s’opère la plus grande dépense à la fois et la perpétuation de la vie, le plaisir atteint à l’orgasme… Et sans doute cette besogne de créateur, si coûteuse pour l’individu, ne serait-elle pas obtenue sans cette insigne récompense — mais le plaisir n’est pas à ce point lié à sa fin, qu’il ne s’en puisse disjoindre[1], qu’il ne s’émancipe aisément. La volupté dès lors est recherchée pour elle-même, sans souci de la fécondation. Ce n’est pas la fécondation que cherche l’animal, c’est simplement la volupté. Il cherche la volupté — et trouve la fécondation par raccroc.

— Sans doute il ne fallait rien de moins qu’un uraniste pour découvrir la belle vérité que voilà.

— Peut-être en effet y fallait-il quelqu’un que gênât la théorie régnante. Remarquez je vous prie que Schopenhauer et Platon ont compris qu’ils devaient, dans leurs théories, tenir compte de l’uranisme ; ils ne pouvaient faire autrement ; Platon lui fait, même, la part si belle que je comprends que vous en soyez alarmé ; quant à Schopenhauer, de qui la théorie prévaut, il ne le considère que comme une manière d’exception à la règle, exception qu’il explique spécieusement, mais inexactement, comme je vous le montrerai par la suite. En biologie, comme en physique, je vous avoue que les exceptions me

  1. Tout au moins dans les espèces dites « supérieures ».