— Décidément vous êtes tous les mêmes, repris-je après un court silence ; vous crânez en chambre et parmi vos pairs ; mais en plein air et devant public votre courage s’évapore. Vous sentez parfaitement, au fond, la légitimité de la réprobation qui vous accable ; vous protestez éloquemment à voix basse ; mais à voix haute vous flanchez.
— Il est vrai que la cause manque de martyrs.
— N’employez donc pas de grands mots.
— J’emploie les mots qu’il faut. Nous avons eu Wilde, Krupp, Macdonald, Eulenburg…
— Si cela ne vous suffit pas.
— Oh ! des victimes ! des victimes tant qu’on en veut ! des martyrs, point. Tous ont nié ; tous nieront.
— Eh ! parbleu, devant l’opinion, les journaux ou les tribunaux, chacun prend honte et se rétracte.
— On se tue, hélas ! Oui, vous avez raison : c’est donner gain de cause à l’opinion que d’établir son innocence sur le désaveu de sa vie. Étrange ! On a le courage de ses opinions ; de ses mœurs, point. On accepte bien de souffrir ; mais pas d’être déshonoré.
— N’êtes-vous pas comme eux, en reculant devant la publication de votre livre ?
Il hésita quelques instants, puis :
— Peut-être que je ne reculerai pas.
— Acculé devant les tribunaux par un Queensberry ou un Harden, vous prévoyez pourtant quelle serait votre attitude.
— Hélas ! Sans doute que tout pareil à ceux qui m’y ont précédé, je perdrais contenance et nierais. On n’est jamais si seul dans la vie, que