Page:Gide - Corydon, 1925.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143

sur le tard cette détermination d’écrire mes mémoires ». Quelques amis communs pourront vous certifier que cette détermination, avec toutes ses conséquences, fut prise dès avant 1900 ; et non seulement la détermination de les écrire, mais bien aussi celle de les publier de mon vivant. Et de même pour Corydon.

Ceci encore pas très important, mais qui nous ramène à des considérations moins personnelles : vous me faites plus érudit que je ne suis. En général, j’ai plus interrogé la vie que les livres, et, nombre de ceux dont vous parlez, j’avoue que je ne les ai point lus[1]. Mais, après avoir achevé le vôtre, j’ai rouvert la Divine Comédie et je m’étonne un peu que, dans le chapitre sur « la tradition de l’anathème », où vous nommez Boccace, Machiavel, l’Arétin, vous n’ayez pas interrogé Dante, le grand poète justicier.

— « Attends ! Avec ceux-ci, il sied d’être courtois », fait-il dire à Virgile, parlant de cette sorte de gens qui vous occupe, si tant est que l’on accepte l’interprétation généralement admise. Car Dante ne précise pas sur ce point, et laisse son lecteur supposer le péché qu’ont bien pu commettre ceux qu’il présente dans le chant XVI de son Enfer, péché que l’on ne peut induire que par raccroc et connaissant d’autre part la vie des damnés que voici : de Jacopo Rusticucci par exemple, dont une note de Lamennais nous apprend que, marié à « une

  1. Par contre, parlant de Balzac, vous semblez ignorer son extraordinaire Vautrin, le drame dont la censure (?) interrompit brusquement les représentations en 1840. Balzac y présente un Jacques Collin plus démasqué, plus révélateur que dans le Père Goriot ou les Illusions perdues.