Page:Gide - Corydon, 1925.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
129

plus généralement convoitée. Comprenez que cela est naturel.

Reconnaissez aussi que les périodes uraniennes, si j’ose ainsi dire, ne sont nullement des périodes de décadence ; je ne crois pas imprudent d’affirmer que, tout au contraire, les périodes de grande efflorescence artistique — la grecque au temps de Périclès, la romaine au siècle d’Auguste, l’anglaise au temps de Shakespeare, l’italienne au temps de la Renaissance, la française avec la Renaissance puis sous Louis XIII, la persane au temps d’Hafiz, etc., ont été celles mêmes où la pédérastie, le plus ostensiblement, et j’allais dire : le plus officiellement — s’affirmait. Pour un peu j’irais jusqu’à dire que les seules périodes ou régions sans uranisme sont aussi bien les périodes ou régions sans art.

— Ne craignez-vous point ici quelque illusion, et que ces périodes ne vous paraissent peut-être particulièrement « uraniennes », ainsi que vous dites, simplement parce que leur lustre particulier nous invite à nous occuper d’elles davantage et que les œuvres auxquelles elles doivent leur éclat révèlent mieux et plus indiscrètement les passions qui les animent ?

— C’est m’accorder enfin ce que je vous disais d’abord : que l’uranisme est assez universellement répandu. Allons, je vois que votre pensée a fait quelque progrès, dit Corydon en souriant. Aussi bien n’ai-je point prétendu qu’il y eût en ces périodes fleuries recrudescence, mais seulement aveu et affirmation. Peut-être, ajouta-t-il au bout d’un instant, faut-il pourtant croire à quelque recrudescence dans les périodes guerrières. Oui, je crois que les périodes d’exaltation martiale sont essentiellement des périodes ura-