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de la ligne l’emporter sur le souci des « convenances », aux époques les plus vaillantes et les plus admirées.

— J’ai déjà répondu sur ce point.

— En admirant avec M. Perrier, s’il m’en souvient, ce constant souci de parure par quoi l’éternel féminin cherche, de tout temps et partout, à aviver le désir de l’homme, à suppléer une insuffisante beauté.

— Oui : ce que vous appelez : « l’attrait postiche ». Qu’avez-vous su prouver ? Que l’ornement sied aux femmes. La belle avance ! Rien de plus déplaisant qu’un homme qui s’attife et se farde.

— Encore une fois, la beauté de l’adolescent n’a que faire du fard ; nous l’avons vu dans la statuaire grecque triompher dans sa nudité. Mais que votre réprobation veuille bien faire la part de nos coutumes occidentales ; car vous n’ignorez pas que les orientaux, entre autres, ne pensent pas toujours comme nous[1]. Parez seulement l’adolescent, ornez-le, au lieu de le cacher, de l’abîmer, mettez en valeur sa beauté, vous pouvez présumer ce qui en résulte d’après cette page de Montesquieu :

À Rome les femmes ne montent pas sur le théâtre ; ce sont des castrati habillés en femmes.

  1. C’est ainsi que le charmant Gérard de Nerval, tout près de s’enflammer, raconte-t-il, pour deux « séduisantes almées » qu’il voit danser en Égypte dans le plus beau café du Mousky — et qu’il nous peint comme « fort belles, à la mine fière, aux yeux arabes avivés par le khôl, aux joues pleines et délicates » — à l’instant qu’il « se disposait à leur coller sur le front quelques pièces d’or, selon les traditions les plus pures du Levant » — s’aperçoit à temps que ses belles danseuses sont de jeunes garçons qui méritent tout au plus qu’on leur « jette quelques paras ».
    (Voyage en Orient, t. I, p. 140 et 141.)