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ce petit tableau les hallebardiers qui coudoient ces seigneurs.

— Vingt fois j’ai contemplé ce tableau sans y rien remarquer d’anormal.

— Nous ne remarquons, chacun, que ce qui nous intéresse. Mais, ici comme là, dans ce tableau comme dans ces chroniques vénitiennes, dirai-je que la pédérastie (qui semble du reste ici tourner à la sodomie), ne m’y paraît pas spontanée ; elle y semble bravade, vice, amusement exceptionnel de débauchés, de blasés. Et je ne puis me retenir de considérer que, parallèlement, loin d’être populaire et spontané, ou âprement jailli du sol même et du peuple comme celui de la Grèce et de Florence, l’art vénitien, « complément de la volupté environnante », disait Taine, fut un plaisir de magnifiques, comme celui de la renaissance française sous François Ier, si féministe, si chèrement acheté à l’Italie.

— Dégagez mieux votre pensée.

IV

— Oui, je crois que l’exaltation de la femme est l’indice d’un art moins naturel, moins autochtone que celui que nous présentent les grandes époques d’art uraniste. Tout comme je crois, excusez mon audace, l’homosexualité dans l’un et l’autre sexe, plus spontanée, plus naïve que l’hétérosexualité.

— Il n’est pas malaisé d’aller vite, dès qu’on ne s’inquiète plus d’être suivi, lui dis-je avec un