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— Je sais, vous réfléchissez, vous. Mais, bon Dieu ! moi j’ai delà viande dans le corps. Que voulez-vous que j’en fasse ? Je ne peux pourtant pas l’employer à penser.

En face l’un de l’autre, Groquignole et Félicien, nous allons les voir assis à une table de café après leur travail de bureau. « Moi, voyez-vous, dit Félicien, lorsque je suis venu au monde, j’étais faible. Dès l’âge de dix-huit ans, j’ai dû choisir un principe ; je n’en fais pas mystère. Tenez, le voici : garde-toi de prendre à la vie plus que tu n’en peux contenir. »

Oh ! il ne dit pas « demander » à la vie. Il dit « prendre ». Quand on relira plus tard Philippe avec plus d’attention qu’on ne fait encore aujourd’hui, c’est-à-dire lorsqu’on se sera rendu compte qu’il vaut la peine d’être lu avec attention, on remarquera qu’il ne met jamais un mot au hasard.

— « Vous y je vous vois venir », dit Groquignole. « Vous voulez me faire de la morale » — et il ajoute, car il est bon garçon — « Vous avez rudement raison : vous ne m’en ferez jamais assez. » Mais non, Félicien ne fera pas de morale à Groquignole. Il comprend que la morale qu’il s’est