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sance de lui dans ce milieu. À quoi user les vingt ans ? Les élans intimes viennent buter contre les murs de tous ses doutes et de tous ses savoirs de persécuté (car la folie de la persécution pointe alors). Et sans cesse, il se pose l’ « à quoi bon ? » devant tout effort. Son âme est en débâcle, instable, ne sachant par où sortir, et alors son regard acquiert la douleur profonde, hagarde un peu, et basse du chien qui a perdu son maître[1].

Dans la publication que la Nouvelle Revue Française commence de ces lettres, je vois qu’on a mis en épigraphe cette phrase très significative d’une lettre à Maurice Barrés : « Nous n’avons eu d’autre ressource que de nous aimer les uns les autres ; c’est pourquoi j’écris toujours plus tendre que ma tête ne me commandait. » Ce fut peut-être une sage précaution : abordée par le dehors, le ton de cette correspondance peut surprendre ; il faut songer à ce qu’est devenu Philippe par la suite, à tout ce qu’il a su trouver en lui-même et dégager de force, de volonté, de joie et de résolution, pour que cet apitoiement, ce larmoiement continuel prenne sa vraie signification. C’est qu’à ce moment encore,

  1. Nouvelle Revue Française, 15 février 1910, P. 320.