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heureux. Plusieurs voies conduisaient au trône. L’ouvrage d’une rebellion se trouvait renversé par les coups des conspirateurs, ou miné par le travail silencieux de l’intrigue. Les favoris des soldats ou du peuple, du sénat ou du clergé, des femmes et des eunuques, se couvraient successivement de la pourpre. Leurs moyens d’élévation étaient vils, et leur fin souvent méprisable ou tragique. Un être de la nature de l’homme, doué des mêmes facultés, mais d’une vie plus longue, jetterait un coup d’œil de compassion et de mépris sur les forfaits et les folies de l’ambition humaine, si ardente à saisir, dans l’étroit espace qui lui est donné, des jouissances précaires et d’une si courte durée. C’est ainsi que l’expérience de l’histoire élève et agrandit l’horizon de nos idées. L’ouvrage de quelques jours, la lecture de quelques heures ont fait passer devant nos yeux six siècles entiers, et la durée d’un règne, d’une vie, n’a compris que l’espace d’un moment. Le tombeau est toujours derrière le trône ; le succès criminel d’un ambitieux ne précède que d’un instant celui où il va se voir dépouillé de sa proie ; et l’immortelle raison survivant à leur existence, dédaigne les soixante simulacres de rois qui ont passé devant nos yeux, laissant à peine une faible trace dans notre souvenir. Cependant, en considérant que dans tous les siècles et dans toutes les contrées l’ambition a de même soumis les hommes à son irrésistible puissance, le philosophe cesse de s’étonner ; mais il ne se borne pas à condamner cette vanité, il cherche le motif