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selle : toujours le premier lorsqu’il s’agissait de proposer ou d’accepter un combat singulier, il perçait de sa lance ou pourfendait de son sabre les gigantesques champions qui osaient résister à son bras. L’histoire de ses exploits, qu’on peut regarder comme le modèle ou la copie des romans de chevalerie, donne des soupçons sur la véracité des Grecs ; pour justifier la foi qui leur est due, je ne perdrai pas celle que je puis inspirer : j’observerai toutefois que, dans la longue suite de leurs annales, Manuel est le seul prince qui ait donné lieu à de pareilles exagérations. Mais à la valeur d’un soldat, il ne sut pas unir l’habileté ou la sagesse d’un général ; aucune conquête utile ou permanente ne fut le résultat de ses victoires, et les lauriers qu’il avait cueillis en combattant contre les Turcs, se flétrirent dans sa dernière campagne, durant laquelle il perdit son armée sur les montagnes de la Pisidie, et dut son salut à la générosité du sultan. Au reste, le trait le plus singulier du caractère de Manuel se trouve dans le contraste et les alternatives d’une vie tour à tour laborieuse et indolente, des travaux les plus durs et des jouissances les plus efféminées. Durant la guerre, il paraissait oublier qu’on pût vivre en paix ; et durant la paix, il semblait incapable de faire la guerre. En campagne, on le voyait dormir au soleil ou sur la neige ; ni hommes ni chevaux ne pouvaient résister à ce que, dans ses longues marches, il supportait de fatigues, et il partageait en souriant l’abstinence ou le régime frugal de ses troupes ; mais à