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vante. Les vents peuvent disperser ce venin subtil ; mais si l’atmosphère n’est pas disposée à le recevoir, la peste expirera bientôt dans les climats froids ou tempérés. Telle était, à l’époque de Justinien, la corruption universelle de l’air, que le changement des saisons n’arrêta ou ne diminua point la peste qu’on vit éclater la quinzième année du règne de ce prince. Sa première malignité se calma après quelque intervalle : elle languit et se ranima tour à tour ; mais ce ne fut qu’après une période désastreuse de cinquante-deux ans que l’espèce humaine recouvra la santé, ou que l’atmosphère redevint pure et salubre. Il ne nous reste pas de faits qui puissent établir des calculs ou même des conjectures sur le nombre d’hommes enlevés dans cette extraordinaire période de mortalité. Je trouve seulement que, durant trois mois, cinq mille et ensuite dix mille personnes mouraient chaque jour à Constantinople ; que la plupart des villes de l’Orient perdirent tous leurs habitans, et qu’en plusieurs cantons de l’Italie les blés et les raisins furent laissés se pourrir sur le sol. Le triple fléau de la guerre, de la peste et de la famine, accabla les sujets de Justinien ; son règne est marqué d’une manière funeste par une diminution très-sensible de l’espèce humaine[1], et quelques-uns des

  1. Procope (Anecd., c. 18) emploie d’abord des figures de rhétorique, telles que les sables de la mer, etc. Il tâche ensuite de se réduire à des calculs moins vagues, et dit que μυριαδας μυριαδων μυριας, furent exterminés sous le règne du démon empereur. Ces mots sont obscurs dans la langue