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était l’époque de la vie la plus périlleuse. La contagion attaquait moins les femmes que les hommes ; mais elle se précipitait indistinctement sur toutes les classes et toutes les professions ; et plusieurs de ceux qui conservèrent la vie perdirent l’usage de la parole, sans pouvoir se croire assurés d’être désormais à l’abri du même fléau[1]. Les médecins de Constantinople déployèrent dans cette occasion leur zèle et leur habileté ; mais les symptômes variés et l’opiniâtreté de la maladie déconcertèrent leur savoir : les mêmes remèdes avaient des effets contraires ; et l’événement trompa souvent les pronostics de mort ou de guérison. On confondit l’ordre des funérailles et le droit des sépultures : ceux qui ne laissaient ni amis ni serviteurs demeuraient sans sépulture au milieu des rues ou dans leurs maisons désertes. Un magistrat fut autorisé à recueillir sans distinction les monceaux de cadavres, à les transporter par terre ou par eau, et à les enterrer dans des fosses profondes hors de l’enceinte de la ville. Un danger si pressant et l’aspect de la désolation publique éveillèrent quelques remords dans les hommes les plus adonnés au vice : ils reprirent, lorsqu’ils se crurent en sûreté, leurs

  1. Thucydide (c. 51) assure qu’on ne prenait la peste qu’une fois ; mais Evagrius, qui avait vu la peste dans sa famille, observe que plusieurs personnes qui avaient résisté à une première attaque, moururent d’une seconde ; et Fabius-Paullinus (p. 588) confirme le retour de la peste. Les médecins sont divisés sur ce point, et la nature et la marche de la maladie peuvent n’être pas toujours les mêmes.