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de sa situation à leur égard. Sous ses ordres, les sujets de l’empereur méritèrent souvent le nom de Romains ; toutefois les orgueilleux Goths, qui affectaient de rougir d’avoir à disputer le royaume d’Italie à une troupe de tragédiens, de pantomimes et de pirates[1], les appelaient des Grecs, terme de mépris qui annonçait des qualités peu guerrières. Il est vrai que le climat de l’Asie a toujours été moins favorable que celui de l’Europe à l’esprit militaire ; le luxe, le despotisme et la superstition énervaient les populeuses provinces de l’Orient, et les moines y coûtaient plus alors et y étaient en plus grand nombre que les soldats. Les forces régulières de l’empire s’étaient élevées autrefois jusqu’à six cent quarante-cinq mille hommes ; et, sous le règne de Justinien, elles n’étaient plus que de cent cinquante mille ; et ces troupes, quelque nombreuses qu’elles puissent paraître, se trouvaient clairsemées en Espagne, en Italie, en Afrique, en Égypte, sur les bords du Danube, sur la côte de l’Euxin et sur les frontières de la Perse. Les citoyens étaient épuisés, et cependant le soldat ne recevait point sa solde ; sa misère n’était adoucie que par de pernicieux priviléges de rapine et d’oisiveté ; et la fraude de ces

  1. Γραικο‌υς… εξ ων τα προτερα ο‌υδενα ες Ιταλιαν ηκοντα ειδον, οτι μη τραγωδο‌υς, και ναυτας λωποδυτας Le terme de pirates rend d’une manière trop noble cette dernière épithète de Procope. Écumeurs de mer est le mot propre ; il signifie des gens qui dépouillent, soit pour voler, soit pour insulter. (Démosthènes, contra Conon. in Reiske, orator. græc., t. II, p. 1264.)