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Fermeté de Théodora.

Justinien était perdu, si cette femme prostituée qu’il avait élevée du théâtre sur le trône, n’eût pas en ce moment oublié la timidité de son sexe comme elle en avait abjuré les vertus. Dans un conseil où assistait Bélisaire, la seule Théodora montra le courage d’un héros ; seule, sans craindre de s’exposer par la suite à la haine de l’empereur, elle pouvait le sauver du danger imminent auquel l’exposaient ses indignes frayeurs. « Quand il ne resterait, lui dit-elle, d’autre expédient que la fuite, je dédaignerais encore de fuir. Nous sommes tous, en naissant, condamnés à la mort ; mais ceux qui ont porté la couronne ne doivent jamais survivre à la perte de leur dignité et de leur empire. Je prie le ciel qu’on ne me voie pas un seul jour sans mon diadème et sans la pourpre : que la lumière du jour cesse pour moi lorsqu’on cessera de me saluer du nom de reine. César, si vous êtes déterminé à prendre la fuite, vous possédez des trésors ; voilà la mer et vous avez des vaisseaux ; mais craignez que l’amour de la vie ne vous expose à un exil misérable et à une mort ignominieuse. Pour moi, j’adopte cette maxime de l’antiquité, que le trône est un glorieux sépulcre. » La fermeté d’une femme rendit à Justinien et à son conseil le courage de délibérer et d’agir ; et le courage découvre bientôt des ressources dans les situations les plus désespérées. On adopta un moyen aisé et décisif ; on fit revivre l’animosité des factions : les Bleus s’étonnèrent de la criminelle folie qui, sur une