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et au sommeil qui prenait le matin et le soir une grande partie de son temps. Des favorites et des eunuques, dont elle satisfaisait les passions aux dépens de la justice, occupaient l’intérieur de son appartement. Les plus illustres personnages de l’état se pressaient à sa porte dans une antichambre sombre et renfermée ; et lorsque enfin, après une longue et ennuyeuse attente, ils étaient admis à baiser ses pieds, ils éprouvaient, selon qu’elle était plus ou moins mal disposée, l’arrogance silencieuse d’une impératrice ou la légèreté capricieuse d’une comédienne. Si son avarice accumula des trésors immenses, on peut l’en excuser par l’idée des dangers auxquels l’eût exposée la perte de son époux, qui ne laissait pas pour elle d’alternative entre le trône et la mort. La crainte et l’ambition l’irritèrent peut-être contre deux généraux qui, durant une maladie de l’empereur, déclarèrent indiscrètement qu’ils n’étaient pas disposés à se soumettre au choix de la capitale ; mais le reproche de cruauté, qui au reste ne s’accorde point avec les vices plus doux de ses premières années, a imprimé sur sa mémoire une tache ineffaçable. Ses nombreux espions observaient et rapportaient avec zèle toutes les actions, toutes les paroles et tous les regards contraires à sa dignité. Ceux qu’ils accusaient étaient jetés dans ses prisons particulières[1], inaccessibles

  1. Ses prisons désignées comme un labyrinthe, un Tartare (Anecdot., c. 4), étaient sous le palais. L’obscurité est favorable à la cruauté, mais elle donne lieu aussi aux calomnies et aux fables