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tion, les lumières et l’érudition du douzième siècle. La fable d’une colonie phrygienne, transportée des bords du Tibre sur ceux de la Tamise, s’ajustait facilement à celle de l’Énéide. Les augustes ancêtres d’Arthur tiraient leur origine de Troie et se trouvaient les alliés des Césars. Ses trophées étaient décorés de noms de provinces conquises et de titres impériaux ; et ses victoires sur les Danois vengeaient en quelque façon les injures récentes de son pays. La superstition et la galanterie du héros breton, ses fêtes, ses tournois et l’institution de ses chevaliers de la Table ronde, sont calqués fidèlement sur le modèle de la chevalerie qui florissait alors ; et les exploits fabuleux du fils d’Uther paraissent moins incroyables que les entreprises exécutées par la valeur des Normands. Les pèlerinages et les guerres saintes avaient introduit en Europe les contes de magie venus des Arabes. Des fées, des géans, des dragons volans et des palais enchantés se mêlèrent aux fictions plus simples de l’Occident ; et l’on fit dépendre le sort de la Bretagne de l’art et des prédictions de Merlin. Toutes les nations reçurent et ornèrent le roman d’Arthur et des chevaliers de la Table ronde : la Grèce et l’Italie célébrèrent leurs noms ; et les contes volumineux de Tristan et de Lancelot devinrent la lecture favorite des princes et des nobles qui dédaignaient les héros réels et les historiens de l’antiquité. Enfin le flambeau des sciences et de la raison se ralluma, le talisman fut brisé, l’édifice imaginaire qu’il avait élevé se dissipa dans