Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 6.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.

il pouvait donner le signal et se préparer à combattre une multitude de guerriers exercés aux armes et animés par le désespoir. « Plus l’herbe est serrée et mieux la faux y mord », leur répondit laconiquement le roi des Goths, et il accompagna cette rustique métaphore d’un éclat de rire insultant, qui annonçait son mépris pour les menaces d’un peuple énervé par le luxe avant d’avoir été épuisé par la famine. Il daigna stipuler la rançon qu’il exigeait pour se retirer des portes de Rome ; tout l’or et tout l’argent qui se trouvaient dans la ville, sans distinction de ce qui appartenait à l’état ou aux particuliers, tous les meubles de prix et tous les esclaves en état de prouver une origine barbare. Les députés du sénat se permirent de lui demander d’un ton modeste et suppliant : « Ô roi, si telles sont vos volontés, que comptez-vous donc laisser aux Romains ? » « La vie », répliqua l’orgueilleux vainqueur. Ils tremblèrent et se retirèrent. Avant leur départ, cependant, on convint d’une courte suspension d’armes qui facilita une négociation moins rigoureuse. L’esprit sévère d’Alaric se radoucit sensiblement ; il rabattit beaucoup de sa première demande, consentit enfin à lever le siége aussitôt qu’il aurait reçu cinq mille livres pesant d’or et trente mille livres pesant d’argent, quatre mille robes de soie, trois mille pièces de fin drap écarlate et trois mille livres de poivre[1]. Mais le

  1. Le poivre était l’ingrédient favori de la cuisine la plus recherchée des Romains ; et la meilleure espèce se