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révérés comme la gloire de la capitale ; on ne les estimait que comme une mine inépuisable de matériaux, moins chers et plus commodes que ceux qu’il aurait fallu tirer d’une carrière éloignée. De continuelles requêtes adressées aux magistrats de Rome, en obtenaient sans peine la permission de tirer des édifices publics les pierres et la brique nécessaires, disait-on, pour quelques ouvrages indispensables ; la plus légère réparation servait d’occasion ou de prétexte pour défigurer grossièrement les plus beaux morceaux d’architecture. Un peuple dégénéré détruisait d’une main sacrilège les monumens élevés par ses ancêtres, et la postérité des premiers Romains ne songeait qu’à s’enrichir de leurs dépouilles. Majorien, qui avait souvent contemplé ce désordre avec douleur, en arrêta, par une ordonnance sévère, les progrès toujours croissans[1] ; il réserva au prince et au sénat la connaissance exclusive des circonstances qui pourraient nécessiter la destruction d’un

  1. L’édit entier (Novell. Majorian., tit. VI, p. 35) est très-curieux. Antiquarum ædium dissipatur speciosa constructio ; et ut aliquid reparetur, magna diruuntur. Hinc jam occasio nascitur, ut etiam unusquisque privatum ædificium construens, per gratiam judicum… præsumere de publicis locis necessaria, et transferre non dubitet, etc. Pétrarque répéta les mêmes plaintes dans le quatorzième siècle avec autant de zèle, mais avec moins de puissance et de succès. (Vie de Pétrarque, t. I, p. 326, 327.) Si je continue cette histoire, je n’oublierai point la décadence et la destruction de la ville de Rome, objet intéressant auquel j’avais borné mon premier plan.