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séjour d’éternelle obscurité. Dans ces voyages à la campagne, le maître est suivi de toute sa maison[1] ; et, de même que dans la marche d’une armée les généraux font les dispositions pour la cavalerie et pour l’infanterie, pour l’avant et l’arrière-garde, les officiers domestiques, portant en main une baguette, symbole de leur autorité, distribuent et rangent la nombreuse suite des serviteurs et des esclaves. Le bagage et la garde-robe marchent en tête, ensuite une foule de cuisiniers avec tous les subordonnés employés au service de la cuisine et de la table. Le corps de bataille est composé des esclaves et grossi par la foule des plébéiens oisifs ou des cliens qui sont venus s’y mêler. Une bande d’eunuques choisis forment l’arrière-garde ; ils sont rangés par ordre d’âge, depuis les plus vieux jusqu’aux plus jeunes. Leur nombre et leur difformité font éprouver un mouvement d’horreur et d’indignation ; et les spectateurs maudissent la mémoire de Sémiramis qui inventa l’art cruel de mutiler la nature, et de détruire, dès

  1. Sénèque (épît. 123) rapporte trois circonstances curieuses relativement aux voyages des Romains. 1o. Ils étaient précédés d’une troupe de cavalerie numide, qui annonçait un grand seigneur par une nuée de poussière. 2o. On chargeait sur des mules non-seulement les vases précieux, mais encore la fragile vaisselle de cristal et de murra. Le savant traducteur français de Sénèque (t. III, p. 402-422) a presque démontré que murra signifiait des porcelaines de la Chine et du Japon. 3o. On enduisait d’une espèce d’onguent les belles figures des jeunes esclaves, pour les mettre à l’abri des effets du soleil ou du grand froid.