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et leurs chars couverts parcourent sans cesse l’espace immense de la ville et des faubourgs. Si quelque personnage d’une haute distinction daigne entrer dans un bain public, il donne ses ordres d’un ton impérieux, et approprie insolemment à son usage exclusif toutes les commodités destinées au peuple romain. Si dans ces lieux de rendez-vous général pour toutes les classes, il rencontre par hasard quelque méprisable agent de ses plaisirs, une tendre accolade exprime aussitôt son affection, tandis qu’il évite orgueilleusement le salut de ses concitoyens, auxquels il permet seulement d’aspirer à lui baiser la main ou les genoux. Après avoir joui des plaisirs du bain, ces fastueux personnages reprennent leurs bagues, leurs bijoux et les marques de leur dignité ; ils choisissent dans leur garde-robe particulière, composée des plus fines étoffes et suffisante pour une douzaine de personnes, les vétemens qui flattent le plus leur fantaisie, et conservent jusqu’au départ un maintien arrogant, qu’on aurait peut-être excusé dans le grand Marcellus après la conquête de Syracuse. Quelquefois, à la vérité, ces héros entreprennent des expéditions plus hardies ; ils visitent leurs domaines en Italie, et se procurent l’amusement d’une chasse dont leurs esclaves prennent tout le soin et la fatigue[1]. S’il arrive par hasard, et surtout dans un jour de chaleur, qu’ils aient le courage de faire dans

  1. Voyez les Lettres de Pline, I, 6. Trois énormes sangliers furent attirés et pris dans les filets, sans distraire le chasseur philosophe de son étude.