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des soldats, qui lui reprochaient ses crimes, et pressaient son supplice. Dans ces instans de détresse et de désespoir, Eutrope ne put trouver d’autre asile que le sanctuaire de l’église, dont ses efforts, ou sages ou sacrilèges, avaient limité les priviléges. Le plus éloquent de tous les saints, Jean Chrysostôme, eut la gloire de protéger un ministre disgracié, dont le choix l’avait élevé sur le siége archiépiscopal de Constantinople. Le prélat, du haut de sa chaire, d’où il pouvait se faire entendre distinctement de la foule immense, de tout âge et de tout sexe, qui remplissait la cathédrale, prononça un discours pathétique et conforme à la circonstance, sur le pardon des injures et l’instabilité des grandeurs humaines ; et la vue du favori étendu, pâle et tremblant, sous la table de l’autel, présentait un spectacle frappant et instructif. L’orateur, qu’on accusa depuis d’avoir insulté au malheur d’Eutrope, chercha à exciter le mépris du peuple, pour tempérer sa fureur[1]. L’humanité, la superstition et l’éloquence l’emportèrent : l’impératrice, retenue par ses propres pré-

  1. Voyez l’Homélie de S. Chrysostôme, t. III, p. 381-386, dont l’exorde est d’une grande beauté. Socrate, l. VI, c. 5 ; Sozomène, l. VIII, c. 7. Montfaucon (dans sa Vie de saint Chrysostôme, t. XIII, p. 135) suppose un peu légèrement que Tribigild était alors à Constantinople, et que ce fut lui qui donna l’ordre aux soldats de se saisir d’Eutrope. Claudien lui-même, poète païen (Préface, ad l. II, in Eutrop., 27), parle de la fuite de l’eunuque dans le sanctuaire.

    Suppliciterque pias humilis prostratus ad aras,
    Mitigat iratas voce tremente nurus.