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l’ordre et de la décence ne suffisaient point pour arrêter les progrès de cette corruption de mœurs, qui sacrifiait sans rougir toute considération de devoir ou d’intérêt à une basse complaisance pour des goûts énervés ou déréglés[1]. Les complaintes des auteurs contemporains qui déplorent les progrès du luxe et la dépravation des mœurs, ne peignent communément que leur situation personnelle et leur caractère. Peu d’observateurs se sont fait une idée juste et claire des révolutions de la société ; peu d’entre eux sont capables de découvrir les ressorts secrets et délicats qui donnent une direction uniforme aux passions aveugles et capricieuses d’une multitude d’individus. S’il est vrai qu’on puisse affirmer avec une apparence de raison que le luxe des Romains ait été plus imprudent et plus effréné sous le règne de Théodose que du temps de Constantin ou d’Auguste, ce changement ne put provenir d’une augmentation d’opulence nationale. Une longue suite de pertes et de calamités avait arrêté l’industrie et diminué l’aisance des peuples. Leurs profusions étaient sans doute le résultat de ce désespoir indolent qui jouit du moment et craint de penser à l’avenir. L’incertitude de la propriété décourageait les sujets de Théodose et les détournait des entreprises utiles qui exigeaient de la dépense et des travaux pénibles, et qui n’offraient qu’une perspective d’avantages éloignés. Les exemples fréquens de ruine

  1. Zosime, l. IV, p. 244.